Pierre-Carl Michaud

Professeur d'économie - Professor of Economics, HEC Montréal

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Immigration et économie au Québec

Pierre-Carl Michaud, 4 avril 2021, ajouts 5 avril

On discute à nouveau d’immigration. Cette semaine, il y a eu entre autres les articles de Pierre Fortin dans l’Actualité et Stéphanie Grammond dans La Presse. Les retards observés pour traiter les dossiers d’immigration ont donné lieu à ce regain d’intérêt, par exemple cet article de Joël-Denis Bellavance. Les milieux d’affaires, par exemple représentés par le CPQ ont rappelé leur position en faveur du rehaussement des seuils d’immigration.

Des ressources inestimables sont disponibles concernant la recherche économique sur l’immigration. Je note au passage deux rapports très intéressants de Boudarbat et Grenier (2014) pour le Québec et l’article de Green et Green (1999) sur l’histoire des politiques économiques en lien avec l’immigration. Plusieurs textes de politique publique ont aussi été publiés au cours des années concernant les impacts économiques de l’immigration, entre autres Boudarbat, Grenier et Fortin (2016) et Riddell, Worswick et Green (2016). Les conclusions tirées sont très similaires d’un texte à l’autre.

Immigration: combien et quel type?

D’abord, un regard passé sur l’immigration. Le Québec a manifestement eu moins d’immigration internationale que le reste du Canada. Si on prend une photo en 2016 de la population québécoise, 85.35% sont nés au Canada comparativement à une proportion de 74.25% hors Québec. Donc, l’apport de l’immigration est moins fort au Québec qu’ailleurs. Par ailleurs, il est important de comprendre qu’il existe plusieurs types d’immigrants. En 2016, le recensement a finalement permis de faire ces distinctions. Au total, il y a tout près de 6% de la population du Québec qui est issue de l’immigration économique, celle dont nous parlons dans le débat. À ceci s’ajoute une immigration d’avant 1980 (2.8%), des résidents non permanents (1%), des immigrants venue dans le cadre de réunification familiale (parrainage) et finalement les réfugiés (1.8%). Quand on parle de politique économique et de choix de seuils, c’est donc de l’apport principalement des immigrants économiques, dont le nombre est sous le contrôle du Gouvernement du Québec, dont on parle. En 2016, c’était 469 096 personnes arrivées au Québec après 1980 selon le recensement.

Statut (%) Hors-Québec (%) Québec
Né au Canada 74.25 85.35
Immigrant (avant 1980) 6.05 2.76
Résident non permanent 1.49 1.03
Immigrant économique 9.55 5.91
Réunification familiale 6.03 3.16
Réfugié 2.64 1.8

Source: Calculs en utilisant le fichier public individuel du Recensement de 2016, Statistiques Canada

L’immigration qui vise la réunification familiale et l’accueil de réfugiés peut être jugée par d’autres motifs que l’économie (e.g. motifs humanitaires). Ici, on se concentrera sur l’immigration économique.

L’immigration récente, par exemple, des 5 dernières années précédent 2016 est grosso modo au deux tiers issus de l’immigration économique, 24.9% des réunifications et 11.54% de réfugiés. Donc, en omettant l’émigration de retour, les immigrants qui vont ailleurs après être venus au Québec, c’est au net environ de 30 776 immigrants par année dont il est question.

Économique Réunification Réfugié Total
153 883 60 273 27 935 242 091
63.56% 24.9% 11.54%  

Source: Calculs en utilisant le fichier long public individuel du recensement de 2016, Statistique Canada

Il importe aussi de bien comprendre la distribution d’âge de cette immigration économique pour en comprendre les effets potentiels sur l’économie. Comme le montre le graphique suivant, les immigrants économiques sont plus jeunes que les gens nés au Canada et plus jeunes que l’immigration existante. Puisque les familles suivent souvent un.e immigrant.e économique, il y a aussi des moins de 18 ans.

Si on regroupe en groupe âge de la population active (moins de 18 ans, 18-64 et 65 et plus), on a le portrait suivant pour l’immigration récente des 5 dernières années. 75% des immigrants économiques récents sont un apport direct à la population active. Parmi les plus jeunes, plusieurs entrent dans la population active à l’intérieur d’un horizon assez court. À noter, les autres immigrants sont aussi principalement en âge de travailler.

groupe Né au Canada Nv. immigrant économique Nv immigrant autre
< 18 ans 21.7 24.6 20.4
18-64 ans 61.2 75.2 73.2
65+ ans 16.7 0.2 6.3

Source: Calculs en utilisant le fichier long public individuel du Recensement de 2016, Statistique Canada

Il est donc faux de dire que les immigrants sont à peu près du même âge que la population née au Canada. Ils sont moins nombreux, ce qui limite leur effet pour ralentir le vieillissement démographique. Plusieurs l’ont bien démontré dont l’ouvrage de Dubreuil et Marois (2011).

L’immigration n’est pas une panacée au niveau économique

Si l’immigration n’est pas une panacée, c’est d’abord pour une question de nombre. Au Québec, l’accroissement démographique annuelle avoisine approximativement 0.8% en taux de croissance annuel moyen, soit environ 70 000 dans les 10 dernières années (en moyenne). L’accroissement naturel est de plus en plus faible (les naissances moins les décès). Ainsi, il était de 16 509 en 2019 comparativement à plus de 29 595 en 2010 selon l’ISQ. On note un rôle important de l’immigration temporaire, constituée d’étudiants étrangers et de travailleurs saisonniers dans les années 2015-2019. Maintenant, même s’il y a 50 000 immigrants en moyenne qui entre au Québec, à peu près la moyenne des 10 dernières années, seulement les deux tiers sont des immigrants économiques, les autres étant des réfugiés et des rassemblements familiaux. Puisque seulement 75% sont dans la population active, c’est donc dire que le nombre d’immigrants économiques qui gonfle les rangs de la population active est autour de 30 000 individus par an. La population active du Québec est autour de 4.5-5 millions. C’est donc, 0.6% de potentiel de croissance de la population active qui est dû à cette immigration économique. Cependant, ces nouveaux immigrants économiques âgés de 18-64 ans ont un taux d’emploi qui n’est que de 66.4% comparé à 75% chez les natifs (voir plus bas pour une analyse de ces chiffres). C’est donc dire que le potentiel de croissance de la population au travail n’est que de 0.4% par année environ. Ceci est loin d’être négligeable en contexte de croissance presque nulle de la population active dans les années à venir, mais n’est pas une panacée non plus.

Un calcul simple permet de comprendre l’effet sur la croissance du PIB potentiel. Si on prend une fonction de production classique, $Y = A L^{\alpha_L} K^{1-\alpha_L}$ avec $K$ le capital et $L$ le travail, on obtient que la croissance du PIB à long terme en économie ouverte (taux d’intérêt $r$ est fixe) est donnée par

\[g_Y = \frac{1}{\alpha_L} g_A + g_L\]

où $g_A$ est la croissance de la productivité (multifactorielle) $A$ et $g_L$ est la croissance du nombre de travailleurs, $L$. Le paramètre $\alpha_L$ est la part du travail dans le PIB (labor share) et se trouve autour de 66%. La croissance de $g_L$ est directement fonction du nombre d’immigrants économiques qui sont en âge de travailler. Donc, on a une immigration économique qui contribue grosso modo, sur la base de ce calcul très simple, 0.4% de croissance annuelle moyenne. Augmenter de 10 000 le nombre d’immigrants économiques (sur une base de 30 000) rajoute moins de 0.133% de croissance à long terme. C’est encore moins élevé pour le PIB par habitant puisque la croissance du PIB par habitant soustrait à la croissance celle de la population totale. Si les immigrants ne rejoignent pas tous le marché du travail, il y a généralement une baisse du PIB par habitant, à moins d’effet indirect sur l’accumulation de capital ou la productivité multifactorielle (nous y revenons ici-bas).

L’analyse ici-haut suppose que les immigrants économiques gagnent le même salaire que les natifs. Or c’est loin d’être le cas comme le montre le tableau suivant (on regarde le total des revenus de travail et travail autonome).

  Revenus travail moyen Écart total %
Né au Canada 57 028    
Immigrant +5 ans 46 675 -10 352 -18.2
Non-économique < 5 ans 26 927 -30 100 -52.8
Économique < 5 ans 36 200 -20 827 -36.5

Source: Calculs en utilisant le fichier long public individuel du Recensement de 2016, Statistique Canada, population 18-64 ans au Québec.

En somme, augmenter le nombre d’immigrants économiques, avec les résultats que nous observons sur le marché du travail, n’est pas une solution à nos problèmes de finances publiques ni nos problèmes de croissance économique.

Selon une étude récente de Décarie et al. (2016), les simulations montrent des effets modestes de changer le nombre d’immigrants. D’autres études en arrivent à la même conclusion dont Robson et Mahboubi (2018) au niveau Canadien. Une étude l’Institut du Québec, en utilisant le modèle du Conference Board du Canada, conclut à des effets légèrement plus positifs. Par ailleurs, tout comme plusieurs autres études auparavant, la relation entre immigration et revenu par habitant est négative. Ce dernier point est important puisque trop souvent on associe progrès à la croissance du PIB alors que c’est plutôt au PIB per habitant qu’il faut l’associer.

De la macro à la micro

Une analyse comme nous venons de le faire soulève souvent l’ire des milieux d’affaires. Pour plusieurs entreprises les besoins sont bien réels et il semble difficile de trouver des travailleurs pour pourvoir les postes. Par ailleurs, plusieurs entreprises oeuvrent dans un contexte international très compétitif ce qui les restreint dans leur capacité de hausser les salaires pour induire davantage de travailleurs à postuler. Ainsi, au niveau micro, dans plusieurs secteurs, l’immigration est d’une grande utilité et ceci n’est pas en contradiction avec l’effet modeste sur la croissance économique.

Par ailleurs, la rareté de main-d’œuvre peut aussi être salutaire pour nos entreprises, mais aussi pour les travailleurs. Il ne faut pas sous-estimer l’effet incitatif que la rareté de main-d’œuvre a sur la rapidité à laquelle les entreprises québécoises adoptent l’automatisation. En fait Acemoglu et Restrepo (2017) montrent que les pays aux prises avec un vieillissement démographique n’ont pas nécessairement une croissance économique plus faible et qu’il est possible que l’automatisation joue un rôle important pour expliquer cet effet. Ceci est possible dans plusieurs secteurs alors que plus difficile pour d’autres.

Ainsi, il est possible de réconcilier le fait que les entreprises québécoises peuvent bénéficier grandement de l’apport de l’immigration pour combler des besoins sans pour autant que l’augmentation du niveau d’immigration de quelques dizaines de milliers de travailleurs ait d’effet notable sur la croissance économique. Il est aussi possible de croire que le contexte actuel peut inciter les entreprises à prendre le virage de l’automatisation plus rapidement.

L’immigration qualifiée peut stimuler l’innovation

Un autre bienfait de l’immigration économique concerne les travailleurs hautement qualifiés. Ceux-ci peuvent stimuler l’innovation par leur contribution, mais aussi le choc des idées avec les innovateurs d’ici. Ainsi, il est possible que $A$, la productivité multifactorielle dans une fonction de production classique soit améliorée par ce type d’immigration. On le voit bien aux États-Unis où plusieurs scientifiques de partout dans le monde viennent travailler afin de mener leurs recherches. L’évidence est moins parlante sur ce point. Mais une étude récente démontre de manière assez convaincante qu’à long-terme l’apport de l’immigration dans les comtés américains semble stimuler l’innovation, mesurée par le nombre de brevets.

Intégration vs. le nombre

Si l’immigration économique résulte en des personnes qui viennent au Québec et ont de la difficulté à occuper un emploi, nous sommes loin de la cible pour discuter d’en augmenter le nombre. Au Québec, le taux d’emploi des immigrants récemment arrivés est faible, en particulier chez les immigrants avec un diplôme universitaire comme le montre ce tableau tiré de l’étude de Décarie et al. (2019). C’est une des conclusions que dégagent aussi Cousineau et Bourdarbat (2009) dans leur excellent panorama des enjeux. On doit se poser la question s’il est responsable de créer des rêves brisés si notre capacité d’intégration est limitée.

Source: Décarie et al. (2016)

Il est souvent mentionné que les immigrants rejoignent les travailleurs natifs assez rapidement. Ceci vient d’une comparaison ou l’on regarde à un âge donné des immigrants étant arrivés à des moments différents. Cette approche proposée par Chiswick (1978) consiste à regarder ces effets dans un contexte de régression de type

\[w_{i} = X_{i}\delta + \sum_{t=1}^T \gamma_t y_{i,t} + \epsilon_i\]

où $w_{i}$ est une mesure de performance sur le marché du travail, comme le taux d’emploi, les revenus de travail ou le salaire horaire. $X_i$ est un ensemble de variables de contrôle dont l’âge, la provenance, l’éducation, et $y_{i,t}=1$ si l’immigrant est arrivé il y a $t$ années et zéro sinon. Le terme $\epsilon_{i}$ est un terme résiduel qui ne doit pas être corrélé avec les variables $X_i$ et $y_{i,t}$. Si cette condition est respectée, les coefficients $\gamma_t$ mesurent l’effet de rattrapage dû à l’expérience d’avoir vécu au Québec, ce qu’on appelle souvent un effet d’assimilation économique. Si l’assimilation se passe rapidement, l’impact économique de l’immigration est plus prononcé sans compter les effets sur le bien-être de ces immigrants.

Borjas (1985) met en garde contre ce type de régression pour deux raisons: 1) parce si les cohortes sont de productivité différente, par exemple si les cohortes récentes sont moins productives de par leur provenance ou composition, ceci donnera un profil de revenu de travail où les revenus des immigrants augmentent rapidement avec l’expérience au Québec, 2) parce qu’il y a sélection des immigrants qui sont arrivés il y a plus longtemps. Ceux qui n’ont pas de succès retournent dans leur pays, ce qui fait en sorte que seulement ceux qui réussissent restent. Ainsi, ceci donne l’illusion que les immigrants rattrapent les natifs quand ce n’est qu’une illusion. L’effet de sélection peut aussi aller dans l’autre sens, si ceux ayant plus de succès utilisent le Québec comme étape vers d’autres pays comme les États-Unis. Bloom, Grenier et Gunderson (1995) démontrent que l’effet 1) de productivité initiale semble être présent au Canada, on observe une diminution de la productivité initiale, ce qui rend le rattrapage en apparence plus rapide qu’il ne l’est vraiment.

En utilisant des données beaucoup plus appropriées que le recensement, une étude récente de Dostie, Li, Card et Parent (2020) démontre bien qu’il y a assimilation économique des immigrants. L’écart à l’arrivé est en partie dû au fait que les immigrants travaillent dans des entreprises paient moins que les natifs. Les immigrants progressent ensuite vers des employeurs qui paient davantage. Les auteurs ne rapportent pas d’effet de sélection dû à la migration de retour ou vers d’autres pays.

Un enjeu important pour l’intégration et la pertinence de l’immigration économique afin de répondre aux enjeux de rareté de main-d’œuvre, qui se trouve partout au Québec et non seulement à Montréal. 80% à 90% projettent de rester dans la grande région de Montréal selon le Ministère de l’immigration. Donc, pour contrer les besoins de main-d’œuvre en région, le nombre importe moins que l’intégration. Mieux comprendre les freins à la mobilité des immigrants à l’intérieur du Québec risque d’être plus porteur que d’augmenter le nombre.

Un des mécanismes potentiels importants qui limite l’intégration des immigrants économiques existants est la discrimination. Plusieurs études, dont deux récemment réalisées par des chercheurs du CRREP du CIRANO suggèrent que la discrimination envers les immigrants existe. Les immigrants sont rappelés moins souvent pour une entrevue à compétence égale. Il faut aussi réaliser que ceci n’est pas propre au Québec. Par exemple, Banerjee et al. (2018) démontrent des effets similaires à Toronto et ailleurs au Canada.

Cet enjeu de l’intégration demeure probablement bien plus important que le nombre d’immigrants. L’étude de Décarie et al. (2019) montre bien que les effets sur les finances publiques d’une augmentation des taux d’emploi et revenus des immigrants, récents et moins récents, pourraient avoir bien plus d’effet que l’effet prospectif d’admettre davantage d’immigrants dans un contexte où leur intégration est difficile. C’est une question de flux vs. stock qui explique de résultat. Améliorer l’intégration aide tous les immigrants arrivés au Québec tandis que d’augmenter les flux, avec une intégration limitée, mène à des effets plus faibles.

Source: Décarie et al. (2016)

Immigration et services publics

Comme le mentionne Stéphanie Grammond dans La Presse, les besoins dans le domaine des services publics sont énormes, en particulier en santé et en éducation. Or, en raison de notre capacité fiscale limitée, il est difficile de combler ces besoins criants en augmentant les salaires afin d’attirer des travailleurs et étudiants vers ces emplois. Dans ce cas précis, une immigration économique adaptée peut certainement aider à combler les besoins à venir pour les prochaines années. Il serait intéressant d’étudier cette question davantage, car à ma connaissance elle n’a pas été traitée. C’est en somme une problématique de salaires qui ne sont pas flexibles et donc où le niveau de services publics, valorisé par la population, ne peut être garanti sans apport de l’immigration.

Immigration et équipe de baseball: quel rapport?

On a entendu récemment le gouvernement si dire ouvert à un investissement public afin de construire un stade de baseball et attirer une équipe. L’argument utilisé était celui des retombées fiscales dues à l’immigration des joueurs. Cet argument est vrai pour tout immigrant économique qui viendra payer ses impôts au Québec et y consommera aussi des services. Il est assez intéressant d’entendre un gouvernement nous faire cet argument: d’un côté que ce jeu est rentable à cause des impôts payés et vouloir restreindre l’immigration économique de l’autre. Au volume, les immigrants économiques ont autant, sinon plus, de retombées fiscales que les joueurs de baseball apportent. Mais le gouvernement ne va pas leur offrir une subvention pour autant afin que les immigrants économiques viennent s’établir au Québec. Il y a d’arguments potentiels pour subventionner une équipe de Baseball, mais celui-ci n’est pas le bon.

Questions de recherche intéressantes

  1. Comment quantifier les effets de l’immigration sur l’innovation et la productivité au Québec?

  2. L’immigration peut-elle être efficace pour diminuer les pressions en termes de rareté de main-d’œuvre dans le secteur de la santé et en général pour les services publics?

  3. Quelle est la relation entre rareté de main-d’œuvre, vieillissement et immigration au niveau régional au Québec? Existe-il des mesures incitatives qui pourraient être mises en place afin d’acroître la mobilité?